Axes de recherche
Les enjeux et objectifs du GPR Faire collection sont de trois types :
- scientifique : écrire l’histoire de ces collections, à la fois connectée et comparée, dans une perspective diachronique qui inclut le très contemporain.
- épistémologique : mobiliser les collections pour renouveler de manière réflexive les approches des membres de la communauté scientifique sur leurs propres pratiques de chercheurs, d’enseignants, d’(auto-)archivistes. Par exemple, comprendre la genèse des champs scientifiques à partir des collections sur lesquelles ils se sont appuyés ; retrouver des démarches scientifiques implicites dans les collections d’instruments historiques ; réfléchir à ce que signifie le choix de jeter ou de conserver, de garder trace des échecs.
- politique : comprendre le rôle de ces collections dans la construction d’une communauté de chercheurs, d’enseignants et d’étudiants ; les rendre visibles et sensibles à cette communauté, tout en envisageant les nouveaux défis qui y sont liés, dans un contexte de rapides mutations des conditions de la recherche ; répondre aux demandes sociales ou les anticiper, afin de mieux faire comprendre à la société ce qu’est la recherche scientifique.
Pour répondre à ces questions, le programme s’organise en deux axes.
Axe 1. La collection, une histoire fragile
1.1 Collections en mouvement
Plutôt que de considérer la collection comme un objet figé, le projet entend porter attention aux processus de la collection « en train de se faire », à travers les moments d’investissement et d’institutionnalisation des collections (affectation de locaux, rédaction d’inventaires), mais aussi de déprise, d’invisibilisation, de dispersion, de destruction, ainsi que de réinvestissement, de resémantisation et de patrimonialisation. On sera aussi attentif au moment où la collection « prend », où elle acquiert un sens pour les acteurs, ainsi qu’aux collections qui ne sont pas (voire jamais) considérées comme telles, par exemple parce qu’elles sont faites de rebuts, de doublons, d’objets de second choix qui n’ont pas été intégrés à des collections reconnues (ce qui est souvent le cas des collections pédagogiques) ou qui ont disparu (collections fantômes). L’attention portera également sur les technologies matérielles et intellectuelles qui sous-tendent les pratiques de collectionnement.
Dans les faits, cet axe concernera l’ensemble des collections présentes au sein de l'Université PSL, issues des activités de recherche et d’enseignement, y compris celles qui ont été versées à un certain moment dans des lieux de conservation pérennes (Archives nationales, Humathèque Condorcet, BnF, IMEC, etc.). Il ne visera pas à intervenir sur ces fonds (ni opérations de classement, ni récolement ou inventaire, etc.), ni à se substituer aux activités des pôles qui en ont la charge et seront étroitement associés au projet.
Cette approche mobilisera les compétences des différents secteurs disciplinaires présents dans l'Université PSL, susceptibles d’éclairer la constitution et les usages des collections : sciences humaines et sociales (histoire, sociologie, anthropologie, philosophie, histoire de l’art et archéologie, humanités numériques), sciences exactes, chimie, biologie, physique. Elle inclura le soutien à des projets d’études et de valorisation de documents d’archives et de collections spécifiques, afin de contribuer à écrire l’histoire de la recherche en s’appuyant sur les traces qu’elle a laissées.
1.2 Des collections pour demain
Travailler sur les collections d’objets et les archives produites, en incluant aussi celles du temps présent, doit conduire à mettre en évidence la complexité, les manques, les zones d’ombre, les difficultés de conservation et d’étude et la nécessité de mettre en place des politiques de conservation des données intermédiaires produites ; les biologistes de l’IBENS, les enseignants de l’école d’architecture Paris-Malaquais - PSL, acceptent de se prêter à l’exercice. Le projet doit ainsi contribuer à nourrir une réflexion sur la manière de mieux sélectionner et de conserver les données de la recherche en train de se faire aujourd’hui. La montée en puissance des données nativement numériques, mais aussi l’existence déjà ancienne de telles données, doivent conduire à s’interroger sur les conditions de conservation et de traitement de ces données et des instruments qui permettent de les lire. Elles ne doivent par ailleurs pas faire oublier la continuité du recours à des archives papier et à des objets (livres, instruments de travail, artefacts issus des activités de recherche) dans les activités académiques, qui rendent nécessaire de s’interroger sur ce que voudra dire « faire collection » pour les générations futures de chercheuses et de chercheurs.
Le projet revêt en outre une dimension éthique et juridique qu’on se propose d’approfondir en réfléchissant aux aspects liés à la documentation des provenances, à la propriété des choses, aux formes d’appropriations, à la question des restitutions, aux données vivantes. La porosité entre les mondes académiques et industriels, la présence de mécènes nous contraint à prendre en compte la copropriété des archives (données, documents, objets) qui est souvent un impensé des contrats de coopération (contrairement à ce qui prévaut pour les résultats).
L’enjeu est enfin de permettre l’écriture d’une histoire de la recherche plus équilibrée, faisant place aux différents niveaux d’intervention des acteurs et actrices de la recherche, à leur genre, à leur statut, aux formes de coopération formelles et informelles, locales, régionales, internationales, à l’articulation entre histoire des sciences et étude des politiques publiques (nationales, européennes, transnationales).
En pratique, on proposera à certaines équipes de devenir objet d’études (par exemple Alice Lebreton et l’équipe « Dynamique du dialogue bactérie-cellule », IBENS ; Albert David au DRM M-Lab Dauphine ; Florence Weber au Centre Maurice Halbwachs ENS, AOrOc), voire de terrain d’expérimentation. Les résultats obtenus conduiront à faire émerger des préconisations relatives à la politique des données de la recherche au sein de l'Université PSL.
Axe 2. Ce que les collections font à la recherche
2.1. Faire communauté par les collections, d’hier à aujourd’hui
Dans un monde académique marqué depuis 2009 par une vague importante de fusions universitaires et par l’invention de nouvelles formes de regroupements, la mise en évidence et la valorisation de références culturelles communes sont des enjeux essentiels. De ce point de vue, l’Université PSL représente un terrain particulièrement stimulant pour interroger ce que les collections existantes et celles à constituer peuvent apporter à la construction de nouvelles communautés issues de la réunion d’établissements plus anciens. L’incidence, sur ces processus, de la transformation matérielle des collections – des objets et papiers, qui pouvaient facilement constituer un lieu de reconnaissance des équipes, à des formes numériques autour desquelles il faut réinventer les manières de faire communauté, doit également être pesée.
L’histoire des institutions se fait le plus souvent en silo. Notre projet fait l’hypothèse que les collections sont un lieu particulièrement pertinent pour observer les formes de l’institutionnalisation et la manière dont les institutions (se) racontent leur histoire. Bibliothèques, archives, bases de données, corpus, séries d’instruments et de spécimens documentent la manière dont les institutions et les communautés se sont construites, définies et pensées à partir de leurs collections, et dont elles continuent à vivre et à travailler en s’appuyant sur ce capital.
Mais l’étude des collections met aussi en évidence les limites de cette approche monographique, mal adaptée à un monde académique anciennement et densément maillé, dans lequel les individus circulent constamment. Le projet permettra ainsi d’approfondir la connaissance des liens, parfois anciens, existant entre les établissements-composantes de l'Université PSL, mais aussi ceux entre l'Université PSL et les autres acteurs académiques et de surcroît entre le monde académique et le monde non-académique.
Ces liens doivent être pensés de manière multiscalaires : micro au niveau de l’individu et de son équipe, puis méso au niveau de l’établissement et, enfin, macro au niveau de la discipline permettant une approche transnationale du consortium de type PSL. Dans certains cas, leurs relations s’inscrivent dans une histoire déjà longue, marquée depuis le 19e siècle au moins par des formes de collaboration entre établissements et entre chercheurs, par la circulation des individus, de leurs instruments de travail et de leurs archives d’un établissement à l’autre au cours de leur carrière, et par leur inscription dans des cultures académiques communes et des projets élaborés à l’échelle nationale et internationale. Les opérations de gestion et de partage d’héritages matériels et intellectuels ou encore la définition de pôles d’excellence complémentaires, témoignent de formes de collaboration plus ou moins institutionnalisées, pensées à l’échelle des individus, des laboratoires ou des établissements. Dans d’autres cas, ces liens sont plus ténus ou encore à mettre en évidence. Enfin, parce que le statut des archives les plus récentes est, dans les faits, imprécis, l’histoire partagée telle qu’elle se construit actuellement (dans le sillage, en particulier, de la recherche par projet) reste souvent mal connue car difficile à écrire, faute de sources exploitables.
Dans une perspective à la fois historique et réflexive, on pourra ainsi envisager une modélisation géochronologique des collaborations scientifiques à travers un outil de datavisualisation (comme Netscity) nourri des données issues de l’indexation des marques de provenance des collections et de celle des fonds d’archives de recherche, y compris sur la période la plus récente. Cette étude permettra de voir finement l’évolution sur le temps long des réseaux scientifiques inhérents aux équipes de l'Université PSL et l’écosystème dans lesquels ils sont inscrits (financements, partenariats, éditeurs, etc.), dont les collections constituent des traces tangibles.
2.2. Enseigner par la collection, collectionner l’enseignement
Le récit des différentes institutions qui composent l'Université PSL est profondément ancré dans une ambition commune : former par la recherche et développer des formes innovantes d’enseignement. Les collections PSL montrent à la fois l’évolution et le déploiement d’une réflexion sur les pratiques pédagogiques. En témoignent l’adoption du format séminaire, le travail en petits groupes, la contribution directe des étudiants aux recherches menées, les travaux pratiques et la place accordée à l’expression et à l’initiative des étudiants. Ces cours étaient également dispensés en dehors des salles de classe, parfois même à l’étranger, comme à l’Observatoire de Paris - PSL, où des observations astronomiques étaient effectuées, ou à l’EPHE-PSL, où les égyptologues formaient leurs étudiants à l’arpentage et à la copie directement sur les sites de fouilles. Outre l’enrichissement des pratiques pédagogiques, ces déplacements ont également donné lieu à la constitution de collections et d’archives (collections photographiques, correspondance et littérature grise : rapports de fouilles, documents administratifs, rapports ministériels, etc.). Dans leur ensemble, les objets de recherche et d’enseignement réunis à PSL et les archives qui les accompagnent forment un tout exceptionnel, dont les usages sont parfois partagés entre les établissements et dont l’histoire est actuellement très inégalement documentée. L’objectif de ce programme est de retracer les logiques de constitution matérielle, institutionnelle et intellectuelle des collections pédagogiques de PSL et de reconstituer leur rôle et leur place dans les pratiques pédagogiques afin de réexaminer les enjeux, les méthodes et les usages de la collection pédagogique.
Développer cette double approche implique de fonder la recherche à la fois sur l’étude des archives et sur celle des collections elles-mêmes. Ce choix méthodologique découle d’un constat : si certaines collections sont encore utilisées dans le cadre de séminaires (Humathèque Condorcet, Muséum national d’Histoire naturelle, Galerie de l’Observatoire, etc.), elles sont souvent dispersées dans différents lieux de conservation ou préservées de manière inégale. C’est le cas, par exemple, de la collection d’instruments scientifiques de M. Chabert de l’EPHE - PSL, qui ne représente qu’une infime partie des instruments scientifiques utilisés par les étudiants dans leur laboratoire d’origine. De plus, il est souvent difficile de distinguer les collections de livres ou d’instruments de travail constituées à des fins de recherche de celles utilisées pour l’enseignement, car ces objets sont couramment utilisés alternativement pour l’une ou l’autre activité, voire pour les deux. La bibliothèque de l’École des chartes - PSL conserve ainsi des ouvrages anciens utilisés par les chercheurs, mais aussi directement liés à l’enseignement, où ils servent de support matériel dans les cours d’histoire du livre et de bibliographie matérielle. Les archives pédagogiques constituent également une source importante, encore peu exploitée, qui permet de rematérialiser les époques et les espaces dans lesquels les collections pédagogiques se sont développées, leurs principaux acteurs et les actions et pratiques auxquelles elles étaient liées.
Ainsi, deux types d’archives peuvent déjà être identifiés :
- les archives pédagogiques, comprenant les cours, les documents préparatoires (brouillons, esquisses, copies, calques, carnets de terrain, etc.) et les notes de cours prises par les étudiants, qui ont fait l’objet d’un grand nombre d’opérations de numérisation, mais qui n’ont pas encore été étudiées dans leur intégralité.
- les archives institutionnelles, qui documentent à la fois les personnes et les processus impliqués dans la constitution des collections d’objets mises à la disposition des bibliothèques et des laboratoires de recherche, ainsi que les objets qui, selon les chercheurs, faisaient défaut (les fonds des Archives nationales sont extrêmement riches à cet égard).
D’une part, les archives permettent de documenter le processus d’acquisition et de rendre visibles les liens, les collaborations et les échanges entre les institutions. Selon le contexte historique, certains enseignants ont justifié les besoins de l’enseignement ou de la recherche afin d’enrichir leurs collections. Les archives de l’École normale supérieure, aujourd’hui conservées aux Archives nationales, regorgent de listes d’œuvres acquises ou à acquérir, ainsi que de listes d’instruments de travail que les laboratoires possédaient ou auraient souhaité posséder afin d’offrir à leurs étudiants un enseignement de pointe. La constitution de collections d’objets pédagogiques révèle également des liens entre les institutions qui remontent souvent à loin. Pendant la Troisième République, les professeurs de l’ENS - PSL ont sollicité à plusieurs reprises l’École des Beaux-Arts afin d’obtenir des moulages leur permettant de développer des formes d’enseignement pratiques. C’est ce modèle, inspiré à l’origine de la méthode allemande, qui a incité la famille Mercier à faire don d’une petite collection d’antiquités à l’ENS en 1922, bien que de manière quelque peu anachronique.
Les archives nous permettent également de travailler sur l’histoire matérielle de l’enseignement, ainsi que sur l’évolution des méthodes pédagogiques et des supports didactiques. Outre les nombreux cahiers, notes de cours et dessins (Mines Paris - PSL, EPHE - PSL, ENS - PSL…), la question des collections pédagogiques est également très actuelle dans les écoles d’art et d’architecture. Au fil des ans, l’accumulation de matériel pédagogique, commandé par les institutions, produit par les professeurs ou inspiré par le travail des étudiants, a donné naissance à des collections qui n’ont pas toujours le nom, la visibilité ou la légitimité qu’elles mériteraient. À mesure que la prise de conscience de ce patrimoine pédagogique s’accroît, des inventaires et des études sont menés afin de documenter à la fois la matérialité des collections et les méthodes pédagogiques utilisées. Des travaux ont déjà été réalisés sur certaines d’entre elles, comme la collection de « lectures à vue » (pièces à déchiffrer) commandées par le Conservatoire du début du 19e siècle à l’entre-deux-guerres, déjà étudiée dans le cadre de l’ANR HEMEF (2014-2018). D’autres restent à étudier en rassemblant les sources archivistiques les concernant, comme la correspondance de Bottée de Toulmon, directrice de la bibliothèque du Conservatoire dans les années 1830 et 1840, conservée à la BnF, qui éclaire la constitution des collections à des fins pédagogiques et savantes au milieu du 19e siècle. C’est également l’ambition du musée du Management de l’Université Paris Dauphine-PSL, qui est passé d’une structure temporaire à une structure permanente en 2024. Le défi du programme est également de faire tomber les barrières entre ces études de cas et de les aborder de manière transversale afin de mettre en évidence les évolutions concordantes ou les spécificités des domaines disciplinaires.
Le projet a ainsi une dimension de recherche-action : embrasser du regard l’ensemble des collections du site doit permettre de mettre en récit l’histoire d’une communauté.